Gbagbo, Ben Ali, Duvalier font la une des médias. L’un, battu dans les urnes, refuse de céder le pouvoir, le second pille son pays, fait tirer à balles réelles sur son peuple et s’enfuit avec une tonne et demie d’or. Quant au troisième que la planète pensait avoir oublié, il resurgit, prétendant être le «sauveur» de son ex-pays dont il a été chassé il y a 25 ans …
Il y a deux semaines, je faisais référence, sur ce blog, à mon séjour professionnel à Haïti en 1980 où j’avais été choqué, comme en Tunisie, par les immenses calicots à la gloire de Duvalier alias «Bébé doc». Ce type est un monstre, hier de machiavélisme, et, aujourd’hui, d’une connerie consternante. Durant son régime de fer, il n’a jamais cessé de renforcer le pouvoir des puissants «tontons macoutes», milice paramilitaire créée par son père, qui a semé la terreur et la mort dans le pays. Chassé en 1986, il s’est réfugié en France, disposant d’une fortune estimée, à l’époque, à 900 millions de dollars.
En 1980 déjà, le pays était économiquement exsangue, fliqué, pillé par une dictature et une corruption effrénée conduisant, en 1986, les américains, excédés, au renversement du régime Duvalier. Je me souviens encore de ma collègue venue, comme moi en mission, accompagnée de son mari et de son bébé, qui, jetant un petit pot pour bébé vide, a assisté, effarée comme son mari et moi-même, à la bagarre générale pour en récupérer les tous derniers restes. Ceci se passait en mai1980 à Pétion Ville sur les hauteurs de Port au Prince. Ce fait nous avait beaucoup affectés, nous en avons souvent reparlé. Le successeur de Duvalier, le père Aristide, n’a pas fait mieux. Quant à l’actuel président, il ne gouverne plus. Ce peuple si attachant ne mérite pas tout ce qui lui arrive : cyclones, tremblements de terre et dictateurs d’opérette. Rien ne lui est épargné. C’est un peuple maudit.
Duvalier doit être jugé, embastillé et ses biens confisqués. Sa seconde épouse, comme par hasard petite fille de l’ancien président Haïtien Magloire, aurait, comme la femme de Ben Ali, une réputation sulfureuse. Si cela se vérifie, qu’elle paie, elle aussi, ses excès. Aujourd’hui les avocats de Duvalier opposent la prescription, les faits s’étant déroulés il y a plus de 25 ans. Mais le Peuple lui, a t-il oublié la famine de ces 25 années ? Les proches des victimes de ce régime sanguinaire ont-ils oublié la perte d’êtres chers ? Ces orphelins sont ils prêts à pardonner le crime de leur père ou de leur mère et parfois des deux ? Aucune argutie juridique ne devrait tenir face à des faits objectifs, clairement démontrés. Curieusement d’ailleurs, toujours au nom du Droit, il semble que bien que n’ayant jamais eu le statut de réfugié politique, Duvalier n’a jamais été extradé en dépit de nombreuses demandes de la justice Haïtienne. Alors, venir aujourd’hui invoquer le droit et la prescription c’est choquant, surtout quand il s’agit de défendre quelqu’un qui, toute sa vie, a bafoué les droits les plus élémentaires de son peuple.
Que Duvalier ne soit pas intelligent tous les Haïtiens et tous les dirigeants de la planète le savent, il faut être lobotomisé pour oser s’auto proclamer Président à vie à l’âge de 19 ans, piller son pays jusqu’au dernier dollar, partir se réfugier dans un pays ami (la France) et prétendre pouvoir revenir, un jour, en héros. Souvenons nous de Bokassa Premier, empereur à vie lui aussi, grand ami de la France qui appelait De Gaulle « papa » et VGE «mon cousin». Bokassa l’ami des puissants, qui pensait également revenir en héros à Bangui en 1979. Séquestré par l’armée française dans le cadre de «l’opération Barracuda» parce que VGE avait décidé de le lâcher comme étant infréquentable, il a fini ses jours comme un fauve au zoo, derrière un grillage dans un poulailler sordide. Jugé en 1987, condamné à mort puis gracié par le Président Kolingba, son château de la région parisienne vient seulement d’être vendu, faute d’entretien, à vil prix. Les centrafricains qui ont payé fort cher les caprices de Bokassa ne verront donc rien venir en retour … Les fonctionnaires attendent, depuis de nombreux mois, le versement de leurs salaires, Bangui n’a pratiquement plus d’électricité, les hôpitaux sont devenus des mouroirs, et, pourtant, la France soutient militairement le Général Bozizé qui n’est pourtant pas un modèle de démocratie. Pourquoi ? Pour conserver sa base militaire stratégique de MPoko a Bangui.
Bokassa s’est auto sacré empereur à vie en décembre 1977 en présence de 5000 invités et du ministre français de la coopération Robert Galley. Aucun chef d’Etat n’avait «osé» entreprendre ce voyage «compromettant». Le monde entier rigolait de cette triste farce, la France, bien embêtée, n’était pas fière. La cérémonie fut une mascarade incroyable financée par la France. Allez à Bangui, vous y verrez encore deux arcs de triomphe construits sur "la route du sacre", vous y verrez, abandonné sous les tribunes du stade du sacre financé par les chinois, le trône de l’Empereur. Comme tous les gens dotés d’un minimum d’humour, même mes enfants se sont assis dessus. Vous entendrez aussi les centrafricains vous raconter que l’Impératrice, une de ses 17 femmes reconnues, avait exigé, et obtenu, de la France, l’envoi d’un nouvel avion de fleurs, les premières fleurs livrées ayant succombées au climat. Le carrosse de l’Empereur, entouré de laquais dûment entraînés pendant plusieurs mois, était tiré par des chevaux français fournis par la France, morts épuisés en raison de la chaleur et de la distance imposée. Sur le pommeau de l’empereur était incrusté un diamant d’une taille exceptionnelle qui a disparu…. Pas pour tout le monde.
A cette époque Bokassa était encore fréquentable, la France ne lui refusait rien. Il ne semblait pas choquant, pour nos dirigeants, de se rendre dans le palais de Berengo, village de naissance de l’Empereur, qui y avait transféré la capitale de son empire. Les documents officiels étaient établis au nom de la Cour Impériale, les «ministres punis» devaient s’asseoir par terre au soleil, attendant le pardon de l’Empereur. La seule route goudronnée, financée par notre pays, reliait Bangui à Berengo pour permettre aux Mercedès du "parc impérial" de circuler à vive allure. Une piste d’atterrissage avait été construite pour que puisse se poser la Caravelle de l’empereur offerte par la France. Je suis allé à plusieurs reprises à Bérengo. J’ai visité ce qui restait du palais de Bokassa, j’y ai vu les ateliers de couture destinés à la création des tenues vestimentaires de l’époque Napoléonienne, réservées aux réceptions officielles luxueuses de l’empereur qui ne buvait, paraît il, que du Beaujolais Whisky et qui se prenait, publiquement et sérieusement, pour Bonaparte. Le soir venu l’empereur envoyait son Chambellan lui chercher une métisse dont il raffolait... Dans la capitale les métisses ne sortaient jamais le soir de peur d’être raflées pour la seule satisfaction de Bokassa. J’ai vu son auditorium ou il enregistrait «ses» disques, les cuisines où on l’a, un temps, accusé de cannibalisme, ces statues totalement irréalistes imaginées par des artistes français. J’ai vu, dans une capitale où il fait couramment plus de 40°, des centrafricains porter des coiffures bizarres simplement destinées à cacher leurs oreilles coupées en place publique par Bokassa. J’ai entendu nos artisans et entrepreneurs français raconter leur attente, parfois longue de deux jours, pour pouvoir être reçus par Bokassa et réparer un robinet ou nettoyer la piscine de l’Empereur. Eux aussi ont été humiliés, ils ne l’ont pas oublié.
Oui, j’ai vu tout ceci de mes yeux et j’ai même appris d’autres «anecdotes» encore plus sordides ….
Mais, un jour, les temps ont changé sur la seule décision du Président français. Bokassa a connu à son tour, le lâchage, les vicissitudes de la vie politique, l’ingratitude des amis qui chassaient, avec lui, le grand fauve dans la savane d’Akaba qui était sa propriété comme tout le pays d’ailleurs. Tout ceci n’a pas duré, un jour, un mois, une année mais treize années, de 1966 à 1979. C’est long, même pour une diplomatie faite de subtilités, mais c’était sans doute encore plus long pour nos frères d’armes centrafricains. Mais pourquoi s'inquiéter pour un peuple passif ? La France avait d'autres préoccupations beaucoup plus importantes !!!
Placé en détention au camp de Roux siège de la Présidence, Bokassa, l’homme qui, un temps faisait ce que bon lui semblait dans son pays avait tellement peur d’être empoisonné par son peuple qu’il n’acceptait que la nourriture fournie par les militaires français de la Garde Présidentielle dirigée par le colonel Mention, un des piliers du système Foccard. Mon bureau étant situé dans l’enceinte de la présidence, j’ai vu, de mes yeux, dans son gourbis, et à plusieurs reprises, le tyran hirsute, totalement «illuminé», réduit à l’état le plus dégradant de la condition humaine. D’empereur il était devenu, par la seule volonté de la France, paria du régime !!! Une sorte de sous homme !
J’ai alors compris ce qu’était un tyran. J’ai découvert que ces dictateurs ne survivaient que le temps où ils apparaissaient comme encore utiles et fréquentables. Bokassa a fait une erreur, celle de s’affronter à notre Président de l’époque. S’il avait été plus discret il aurait pu durer encore longtemps. Si Saddam Hussein n’avait pas provoqué les américains il serait encore au pouvoir. La France le considérait elle comme un dictateur ? Non, plutôt comme un bon client pour nos fabricants de matériel militaire. En fait j’ai compris que la puissance d’un pays se mesurait à sa capacité de déstabiliser un dictateur. Ben Ali n’était manifestement pas à portée de la France. Si on en croit les informations qui circulent, c’est encore une fois l’Oncle Sam gendarme de la planète qui aurait «fait le ménage».
J’ai vu, sur le terrain, ces dictateurs de pacotille que certains pays, comme le nôtre, acceptent parfois de recevoir dans leur exil. J’ai vu exercer Mobutu Sessé Seko au Zaïre «frère de la Lobaye» de Bokassa, capable, paraît il, de faire jeter, sans parachute, par la porte d’un avion, des étudiants contestataires d'une grande ville du sud. Il n’y a pas de limites à l’horreur. Je suis donc heureux de voir notre pays fermer ses portes à Ben Ali. C’est bien, inutile de polémiquer, notre passé ne plaide pas forcément en notre faveur. Sarko n’est pas plus coupable que ses prédécesseurs.
Hier, sur antenne 2, j’entendais un ancien ministre des affaires étrangères français affirmer, doctement, qu’il fallait proposer une «sortie honorable» à Gbagbo l’homme qui défie le monde… expliquant que la diplomatie était un exercice subtil. L’exercice me semble non seulement subtil mais, bien plus encore, périlleux quand on essaie de concilier l’inconciliable : intérêts économiques et valeurs de notre République. Les chinois vivent sur ce terreau, financiers de la planète, ils se moquent totalement de nos «discrètes allusions» aux droits de l’homme. Demain ils peuvent faire plonger une seconde fois le système financier mondial, ils le savent et ils en jouent. Eux aussi ont leur «odieux dictateur protégé» Kim Jong-Il, leur voisin nord coréen.
Dérouler, au nom de la réal-politique le tapis rouge aux tyrans et se montrer aussi exigeants pour accorder l’asile politique aux résistants m’est insoutenable. L’Europe a payé très cher, il y a soixante dix ans, de ce type de mauvais compromis. Souvenons nous des accords de Munich de 1938 où nous avions quasiment tout abandonné aux ambitions hégémoniques d’Hitler au nom du maintien de la paix. Léon Blum se disait partagé entre un «lâche soulagement et la honte». Un an plus tard survenait le plus grand conflit armé de toute l’histoire de l’humanité faisant plus de 60 millions de morts !!!
Ben Ali passait pour un rempart contre l’Islamisme, la famille Duvalier qui avait détourné à son profit 80 % de l’aide économique versée à son pays, constituait, à l’époque, une précieuse alliée pour ses amis occidentaux dans la lutte contre le «péril communiste» Comme Duvalier, Kim Jong-Il vient de désigner son fils pour lui succéder. A 24 ans il vient d’être nommé général quatre étoiles et vice-président de la Commission militaire centrale du parti au pouvoir.[] Que de similitudes dans ces destins, que de victimes, que de martyrs, que de malheurs pour ces pays et que de mauvais exemples pour l’humanité.
Où est la morale, où sont donc nos valeurs ? Pourquoi fait on tuer nos soldats en Afghanistan et pas ailleurs ? Il suffirait donc d’être un chef d’Etat «encombrant» pour pouvoir exiger un traitement de faveur avant de partir, vomi par son peuple ? Il faudrait donc avoir du sang sur les mains pour être en position de négocier un «retrait honorable» ?
En fait, et si j’ai bien compris, cette «subtile diplomatie» défendue par le ministre serait, simplement, de choisir, au nom des peuples opprimés, entre la peste et le choléra.… L’un et l’autre sont mortels.
Kofi Annan secrétaire général de l’ONU a déclaré «Aucune cause juste ne peut être servie par la terreur» c’est beau, c’est grand, c’est fort … mais c’est tout !!!
Le «système» reste le système et, hélas, beaucoup de dictateurs peuvent encore couler des jours heureux.
Je suis révolté pour avoir vécu tout ceci de très près, de trop près sans doute. Je suis fier d’avoir préféré défendre mes convictions plutôt que de céder au «conformisme» ambiant. A ma carrière j’ai préféré, à un moment sensible et déterminant, privilégier mes valeurs. J’en tire un bénéfice, celui de pouvoir me raser chaque matin en me regardant dans ma glace sans me mépriser.
Au fond je n’y aurai gagné que de l’argent mais perdu mon honneur, le choix était vite fait, je n’en tire donc aucun mérite … . J'attends donc de mon pays les mêmes convictions.