«La tragédie grecque» suscite chez les français de légitimes interrogations, même si certains de nos concitoyens ont fait le choix certes le plus rassurant mais aussi le plus suicidaire : n’y voir qu’un banal avatar de la vie d’un Etat qui, fort loin d’eux, ne les concerne pas vraiment. Qu’ils se détrompent et qu’ils en tirent certaines leçons en se posant quelques questions de simple bon sens.
Evoquons tout d’abord l’Euro qui connaît, pour la première fois depuis sa création, une grave crise de confiance. C’est au nom de son sauvetage que les Grecs ont pu être aidés. Si certains parlent de solidarité infra européenne il s’agit en fait, et avant tout, d’une simple exigence de solidarité monétaire. Les pays européens avaient trop à perdre en termes sociaux et financiers pour lâcher un de leurs membres. Par ailleurs, en ne réagissant pas, ils encourageaient la spéculation et le possible effet domino dans de nombreux pays. Pourtant rien n’est gagné, les déséquilibres structurels demeurent dans de nombreux pays et les spéculateurs restent toujours à l’affût. Euro fort pour le prix du pétrole, euro faible pour les exportations ? Rien n’est tranché, les marchés financiers règlent la parité euro dollar à leur convenance, à leur espérance de profits. Ce ne sont ni les pétroliers, ni, à l’autre extrémité les agriculteurs qui peuvent soutenir le contraire …
Se pose donc, une fois encore, la question de la gouvernance économique européenne. Il n’est pas honnête de montrer les allemands du doigt en leur imputant le retard à la mise en place du plan de sauvetage Grec. L’Allemagne a fait de très gros efforts budgétaires pour réussir sa réunification sans compromettre sa compétitivité. Elle peut donc, légitimement, s’interroger en sa qualité de principal bailleur de fonds sur l’opportunité de réquisitionner le contribuable allemand pour voler au secours d’un pays, qui, bien qu’européen, lui reste étranger et qui, à l’évidence, a pris des libertés condamnables avec les règles de transparence de gestion. Madame Merkel n’est pas madame Tatcher mais elle défend les mêmes principes de rigueur. Personnellement j’aimerais que mes représentants fassent preuve de la même ténacité.
L’intervention du Fonds Monétaire International en complément de l’aide des pays européens me choque à plus d’un titre. D’abord comme citoyen européen membre d’un «consortium» prétendant traiter d’égal à égal avec les autres puissances émergentes qui se voit, de facto, imposer les «conseils» du gendarme financier de la planète. J’ai un peu le sentiment d’habiter un pays en voie de développement domaine de prédilection du FMI. Je considère en effet que s’il était impossible d’éviter de faire jouer la solidarité européenne, nous n’avions pas à nous humilier à ce point. C’est en interne que le financement devait être trouvé. L’Europe ne sera forte que si elle en fait clairement la démonstration.
Est également choquant le taux d’intérêt pratiqué pour ce prêt aux grecs qui ne relève pas d’une noble solidarité puisque les prêteurs vont se refinancer à un taux inférieur à celui du prêt. Mais, au fond ce «spread » de 2 points (différence entre le montant emprunté et le montant prêté) ne prendrait il pas en compte une éventuelle impossibilité pour la Grèce de nous rembourser ? Pour avoir pratiqué longuement le FMI en Afrique, j’ai pu mesurer la brutalité de ses remèdes, je mesure donc le risque de voir le peuple Grec renoncer à ses engagements et à demander, le moment venu, un moratoire. Une fois de plus le contribuable français sera le dindon de la farce.
Tous les économistes connaissaient la situation de ce pays gangrené par l’économie souterraine, incapable de faire rentrer l’impôt. Nombreux étaient ceux qui considéraient l’entrée de la Grèce dans l’euro comme prématurée. Si, au lieu de se doter d’une Banque Centrale largement décriée aujourd’hui par les politiques l’Europe s’était organisée autour d’une véritable gouvernance économique disposant d’un véritable pouvoir d’investigation nous n’en serions pas là. Quand je vois ce triste Trichet, Président de la Banque Centrale Européenne trimballer son attaché case rempli de formules monétaristes je pleure pour tous nos chômeurs … Mais, qu’importe, il se déplace en limousine, couche dans les paradors de l’argent roi, émarge grassement tous les mois et, comme Ramolino, « souhaite que ça doure … »
Venons en maintenant aux agences de notation mises en cause dans le désastre Grec, accusées par pessimisme de renchérir le financement de ce pays sur les marchés internationaux. Souvenons nous de la crise des «subprimes» ayant entraîné la quasi faillite du système bancaire. A l’époque il était de bon ton de les condamner pour complicité avec les spéculateurs, les accusant de laxisme. Souvenons de l’affaire Eron scandale du siècle où, quelques jours avant un dépôt de bilan historique, les agences de notation considéraient cette société comme saine … Alors aujourd’hui, ne jouant pas le «politiquement correct» ces agences sont une nouvelle fois vouées aux gémonies pour être trop dures. Qui se moque de qui ? Par hasard ne nous prendrait on pas pour des cons au gré des crises ?
Il y aurait beaucoup à dire sur cette affaire qui va se traduire, pour le peuple grec, par des sacrifices très douloureux. Que sont devenus ceux qui, au pouvoir, falsifiant les chiffres, s’ébattaient avec profit dans un système de prévarication ? Nous vérifions ainsi, une nouvelle fois, que les victimes sont toujours du même côté. Qui est responsable le peuple qui subit ou les dirigeants qui décident ?
Les grecs ne sont pas seuls hélas, et, si la spéculation s’entête, nous ne pourrons plus éteindre l’incendie de la zone euro. Prions pour que les mesures prises les découragent ce qui n’est pas gagné. Soyons réalistes, pour endiguer la spéculation nous sommes soumis au bon vouloir des marchés financiers beaucoup plus puissants que les états. Les états ne cessent d’emprunter, eux décident ou non de prêter. Selon vous qui va gagner à ce petit jeu de dupes ? Qui refuse de voir que les banques hier sauvées par le contribuable ont repris leurs mauvaises pratiques ?
Cet épisode pathétique se déroule au plus mauvais moment, celui où débutent les négociations sur la réforme des retraites, et, au-delà, l’avenir de notre protection sociale toute entière. C’est, dans un climat particulièrement lourd d’incertitudes que va être scellé notre avenir. Toutes les conditions sont réunies pour un recul social historique auquel les français sont aujourd’hui mentalement conditionnés. C’est vrai, notre pays va mal, plombé par une dette colossale qui ne va cesser de croître. Mais au moins cette situation aura un mérite, celui d’ouvrir les yeux des français encore capables d’un minimum de lucidité.
J’ai souvent écrit qu’un pays pouvait faire faillite, je l’ai vécu, la Grèce en est l’illustration. Tout le monde pensait que cette catastrophe, car il s’agit bien d’une catastrophe, s’appliquait seulement aux démocraties bananières. Aujourd’hui elle est entrée en Grèce, elle frappe avec insistance à la porte de nombreux pays européens coupables d’avoir pensé que les arbres pouvaient pousser jusqu’au ciel … Les économistes considèrent qu’un pays dont la dette est supérieure à 90% de son PIB (Produit Intérieur Brut) entre dans la zone rouge. Dès 2011 la France aura franchi ce seuil, alors ????
Alors ? Nous paierons de plus en plus cher le financement de nos déficits. Pensez simplement que la Grèce emprunte actuellement au taux de 10% et la France au taux de 3%. Que, demain, si notre notation (notre solvabilité estimée) se dégrade, ce sont des dizaines de milliards d’euros supplémentaires que nous devrons rembourser. Comment allons nous trouver les 140 milliards qui nous manquent aujourd’hui ?
Alors quels remèdes devront nous trouver pour conserver un minimum de dignité, pour échapper aux diktats des organismes internationaux ? Réduction des retraites, érosion des salaires, augmentation des taxes, la rengaine traditionnelle. Les ministres continueront néanmoins à louer des avions à des prix exorbitants, les patrons à se voter des retraites chapeau, à engranger les stock options, à délocaliser vers des cieux plus cléments … Quand j’ai quitté le Zaïre en 1992 la fortune personnelle de Mobutu était supérieure à la dette nationale, qu’a fait le FMI, rien, sinon que de faire payer les pauvres ignorant les fortunes scandaleusement constituées ?
Il nous reste une ultime chance, celle de consentir ensemble des sacrifices équitables avant de subir les outrages de ces dictateurs de l’ajustement structurel.
En faisant nommer DSK à la tête du FMI Sarkozy pensait peut être à notre avenir, le sien étant largement compromis. Mais, faire de DSK notre Président ne me rassure pas vraiment en raison de sa popularité dans les milieux financiers. Je ne suis pas davantage rassuré par tous ces candidats qui, zappant les réalités, se sont déjà inscrits dans le combat présidentiel de 2012. L’urgence est ailleurs, chez tous ces laissés pour compte d’une société qui les abandonne sur le bord de le route avec pour seul balluchon le seuil de pauvreté. Ceux là ne « caillassent » pas les bus, ne trafiquent pas la drogue, ils se taisent par dignité, ils n’intéressent personne car ils n’existent médiatiquement pas, et pourtant ne sont ils pas des Grecs en puissance ?
J’ai bien peur que mon dernier ami soit mon mouchoir, meilleur allié quand on sait que l’on va pleurer à chaudes larmes …
Pour nos petits baronnets locaux complices de ce système je conserve un drap entier car, demain, confrontés à leurs erreurs de gestion ils vont faire payer le prix fort aux pauvres car les riches seront partis en Suisse. Bien entendu ils ne manqueront pas de nous expliquer dans leurs bulletins imprimés à nos frais qu’ils sont étrangers à ce qui nous arrive.
On nous laisse vraiment pour des cons … Vivement qu’on les vire au moins ce sera ça de gagné …